• 2 mai 2025
  • Chronique
  • Écrit par : Mathieu Lavallée

Une élection qui aura changé le Canada… peut-être?

L’échiquier politique vient d’être redéfini. Est-ce que c’est réel, ou circonstanciel?

Dans l’épisode d’Infoman du 3 avril dernier, un ancien collègue disait qu’une campagne électorale fédérale, ça pouvait se préparer jusqu’à un an à l’avance.

Si on fait la rétrospective de l’actualité politique de 2024, on n’a aucune difficulté à le croire. Les votes de confiance aux Communes. Les sondages. Les appels formulés par les oppositions demandant que Justin Trudeau nous appelle aux urnes. Tout laissait croire que les machines se préparaient pour une campagne anticipée.

Cependant, il y a quelque chose de fascinant qui s’est déroulé devant nos yeux. Parce qu’entre le niveau de préparation des différents partis et le résultat obtenu… On cherche encore comment y trouver un lien de causalité.

Deux des campagnes se sont préparées longtemps à l’avance. Elles semblent s’être arrêtées dans le temps. Avant la démission de Justin Trudeau, pour être exact.

Une autre des campagnes s’appuyait sur le naturel incandescent de son chef et sa connaissance poussée des dossiers. Parce qu’il faut bien avouer que cette campagne-là ne comptait pas vraiment sur ses pancartes…

La dernière des campagnes n’a pas vraiment pu se préparer et s’est retrouvée dirigée par un néophyte de la politique, après une course à la chefferie raccourcie. C’est dans ce contexte que le Canada aura vécu une élection des plus importantes, puisqu’elle devait servir à réaffirmer et redéfinir notre souveraineté, face à un voisin qui, soudainement, joue à outrance la carte de la provocation.

En fin de compte, la campagne aura été une vraie course à deux. Nez à nez, jusqu’à la fin. Pas un semblant de course où tout le monde se rallie à un candidat de compromis, contrairement à ce que les sondages pouvaient laisser croire.

En dépit du fait qu’il a perdu son siège – ce que plusieurs médias ont attribué au fait qu’il représente une circonscription qui a été affectée par le convoi pour la liberté et par ses déclarations anti-vaccin –, Pierre Poilièvre et le Parti conservateur ont gagné une part de leur pari : la base est plus mobilisée que jamais, ils ont effectué quelques percées en Ontario et ont même été endossés par certains syndicats.

Je dis bien « presque » remporté leur pari. Leur approche leur a donné leur meilleur résultat depuis les années Mulroney, tant en nombre de sièges qu’au suffrage universel. Il est cependant bon de noter que, pour la première fois depuis 2015 les libéraux ont remporté le suffrage universel et gagné le plus grand nombre de sièges. Est-ce là un signe que la recalibration des circonscriptions, qui se produit une fois aux 10 ans, a avantagé les libéraux? Pourtant, trois des nouveaux comtés créés se trouvent en Alberta. Cependant, changer les frontières d’une circonscription a nécessairement un effet sur les stations de vote et sur le succès des formations politiques à faire sortir leur vote.

En face, on a trouvé un candidat qui peut rassembler grâce à la raison et au savoir-faire, malgré dix ans et trois mandats qui ont laissé une partie importante de la population insatisfaite. Mark Carney et le Parti libéral ont réalisé le miracle que personne n’attendait en décembre, alors que plusieurs préparaient déjà des obsèques. Ils sont à tout juste trois sièges d’une majorité et doivent possiblement ce résultat à la courte durée de la campagne. Ce qui fait que le NPD, malgré la déconfiture, aura un rôle important à jouer pour assurer une stabilité au parlement, mais à bien moins grande échelle.

Au lendemain de l’élection, un article du New York Times titrait « Mark Carney elected on Anti-Trump Agenda ». Stephen Colbert et les autres animateurs des émissions de fin de soirée s’en sont donné à cœur joie en regardant le résultat de notre soirée électorale. À quand remonte un tel engouement international pour la politique canadienne? Comment cela peut-il aider le profil de M. Carney ici même?

Beaucoup de choses ont changé depuis quelques mois. Dont le contexte nord-américain, certes. Mais aussi la façon dont il faudra analyser la politique canadienne.

On peut maintenant remporter plus de 40 % des voix sans trop compter sur les médias traditionnels. En présentant un cadre financier à la dernière minute, voire pendant ou après le vote anticipé. On retourne non seulement dans un système quasi bipartisan, mais le spectre gauche-droite et les enjeux qui appartiennent habituellement à un certain parti plutôt qu’un autre sont en train de se redessiner.

Parce que, si Carney croyait conquérir le centre en ravivant l’aile droite des libéraux et en pigeant dans le programme des conservateurs, les troupes de Poilièvre, elles, viennent de redéfinir la droite canadienne. Et peut-être même de rapprocher le centre vers eux. On n’atteint pas un résultat aussi fort au suffrage universel en jouant seulement en fond de patinoire.

La campagne et le résultat nous laissent avec plus de questions que de réponses: combien de temps M. Poilievre pourra-t-il demeurer chef sans siéger à la Chambre des communes? Est-ce que le fait qu’il n’ait pas réussi à prendre le pouvoir apportera des changements dans sa garde rapprochée? Comment les membres du caucus conservateur, plutôt menottés par le chef et la directrice de campagne au cours des dernières années, utiliseront-ils ce moment pour renégocier le pouvoir à l’interne?

Du côté des libéraux, beaucoup doivent se demander cette semaine comment unifier le pays pour établir un rapport de force envers Trump. Comment positionner le premier ministre comme l’homme de toutes les circonstances, pas seulement comme l’opposant en chef à Donald Trump? Combien de temps gouverneront-ils? Comment doivent-ils renouveler leur offre politique pour demeurer pertinents une fois le contexte mondial stabilisé?

Et je ne me lance pas dans les questions avec lesquelles le NPD devra composer, sauf peut-être une: qui sera son prochain chef alors que le parti est à la croisée des chemins?

And the list goes on, comme on dit en français! Avec en tête une question existentielle : est-ce que les résultats de cette campagne sont le signe de changements permanents, ou est-ce simplement un concours de circonstances ? Nous le saurons d’ici 18 à 24 mois. Ou dans quatre ans si les partis d’opposition n’ont pas d’appétit pour une autre campagne à courte échéance!